vendredi 16 août 2013

Un portrait, une voix : Jean-Pierre Moulin.


     Voici le troisième article du cycle "Un portrait, une voix", avec une interview du talentueux Jean-Pierre Moulin.

     Jean-Pierre Moulin est né le 26 avril 1933, au Mans. Si pour beaucoup, Jean-Pierre Moulin est l'inimitable voix du Professeur Farnsworth  dans la série Futurama , il est aussi la voix française officielle du grand Jack Nicholson depuis La Dernière Corvée, et de l'excellent Anthony Hopkins depuis Le Silence des agneaux. Ainsi, celui qui a notamment doublé Dupond dans Tintin, s'est livré sans langue de bois sur sa relation avec cette discipline particulière. L'occasion pour nous d'en apprendre un peu plus sur les coulisses de ce métier.

Comment se retrouve-t-on dans le monde du doublage ?
On se retrouve dans le monde du doublage parce que le doublage n'est que l'une des disciplines du métier d'acteur qui a tout un éventail : le théâtre, le cinéma, la télévision, la radio et le doublage. En ce qui me concerne, j'ai eu une formation traditionnelle en faisant le Conservatoire National de Paris, et j'ai eu la chance d'avoir mon premier contrat tout de suite pour jouer au théâtre.

Est-ce important alors de varier parmi ces disciplines pour offrir un bon doublage ?
Absolument, parce que faire du doublage c'est un vrai travail d'acteur. Ce qui me gêne un peu c'est qu'il y a certains acteurs qui se mettent à gagner tellement d'argent dans le doublage qu'ils ne font plus que ça. Est-ce qu'ils peuvent ensuite prétendre à être toujours de vrais comédiens... J'ai peur qu'ils prennent de mauvaises habitudes, d'être formatés. Lorsque l'on pratique toutes les autres disciplines du métier d'acteur, on retrouve une certaine fraîcheur quand on revient au doublage. Réciproquement, quand je fais toute une matinée de doublage et que j'ai une répétition de théâtre l'après-midi, ça me sert aussi car ça me rafraîchit. Et même s'il y en a qui sont formidables, ça m'attriste de voir qu'ils ne font que ça.

Question pratique : dit-on "doubleur" ou "comédien" ?
Ce qui m'embête c'est lorsque j'entends des gens dire : "Ah oui untel c'est un doubleur..." Non ce n'est pas un doubleur. On ne doit pas dire "un doubleur" mais un "comédien du doublage". On est comédien/acteur avant tout.

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans le doublage ?
Ça ne me plaît pas plus, ça me plaît autant parce que c'est différent. On se ressource partout. Il s'agit de quoi finalement ? De jouer la comédie, d'interpréter des personnages qui ne sont pas vous.

Et qu'est-ce que vous adorez dans votre personnage du Professeur Farnsworth ?
Ce qui m'amuse beaucoup, c'est de pouvoir me transformer, de changer ma voix qui n'est pas ma voix normale (il imite Scruffy puis le professeur Farnsworth). C'est un retour à l'enfance. Quand on est petit on adore se déguiser.

Se prépare-t-on différemment à doubler un personnage d'une série d'animation d'un personnage "réel" ?
Je ne crois pas qu'il y ait de différences. Lorsque l'on double, on écoute attentivement la version originale que l'on vous présente par petits morceaux. Il ne faut surtout pas tomber dans le piège de l'imitation parce qu'ils ont un style, un rythme de paroles très différents. A 99% ce sont des américains/anglais, ce n'est pas du tout le même rythme que la phrase française. C'est pour ça qu'il y a des traducteurs d'adaptations, qui sont très forts pour adapter le style de phrases anglo-saxonnes au style de phrases françaises, tout en préservant le texte, jeu de mots...

Vous n'avez donc pas votre mot à dire sur les traductions ?
On n'a pas notre mot à dire quand elles sont bien faites. Pour être franc, il y a certaines versions françaises qui sont faites par des jeunes qu'on balance comme traducteurs/adaptateurs en croyant qu'ils vont comprendre parfaitement, parce qu'ils ont fait un master d'anglais à la fac. Et au final on a de beaucoup de mal... J'ai vu certains plateaux de doublage où on était pratiquement obligé de refaire le texte français au fur et à mesure. Mais je ne leur jette pas la pierre parce qu'il faut bien qu'ils apprennent le métier.

Vous vous permettez tout de même un peu d'improvisation de temps en temps ?
Oui mais c'est en général très court, parce que lorsque c'est bien écrit on respecte absolument le style de l'auteur.

Lors de la séance d'enregistrement pour Futurama, vous étiez tout seul à doubler votre personnage même lors des dialogues. C'est quelque chose d'habituel ?
Non là c'est un petit peu particulier puisque c'est une série qu'on fait d'un seul coup. Ils préfèrent alors nous prendre en "track seul". C'est à dire qu'on se tape les 13 épisodes d'une saison en deux jours. Tandis que si on le faisait dans les conditions d'un doublage normal, on serait convoqué deux fois par semaine pendant deux mois. Mais ça coûterait beaucoup plus cher en production...

Mais ça ne vous manque pas de renvoyer la réplique à quelqu'un ?
Absolument, oui ça me manque. Mais là, comme il s'agit du Professeur Farnsworth, personnage que je double depuis 7 ans, je le connais par cœur ce qui me permet d'être à l'aise dedans. Et puis je joue toujours la comédie.

En France les VF sont très réussies, mais de plus en plus de personnes réclament la version originale sous-titrée. Cela vous inquiète ?
Ah ba moi je préfère toujours les versions originales. Toutefois, s'il n'y avait plus de doublage ça serait un manque à gagner énorme, mais il y en aura toujours. Je suis actuellement en tournée de théâtre et j'ai pu faire des sondages dans toute la France et l'Europe Francophone. Je crois qu'il y a 93% de personnes qui ne voient que les versions doublées donc...

Concernant les doublages il y a parfois quelques problèmes comme pour Futurama, où certains comédiens ne reprennent pas leurs rôles pour différentes raisons. N'avez-vous pas peur que cela joue sur le petit désamour des français envers cette discipline ?
Moi j'ai toujours fait le même personnage pour Futurama. Mais à partir du moment où les acteurs qui ont remplacé ceux qui faisaient les autres rôles ressemblent ou ont une façon de jouer assez proche, je ne pense pas qu'il y ait de problèmes.

Et vous vous êtes déjà fait "voler" votre place concernant un acteur/personnage que vous doublez habituellement ?
Il se trouve que je double, entre autres, Jack Nicholson depuis Vol au-dessus d'un nid de coucou en 1976. Depuis, je l'ai doublé sur tous ses films sauf un : Shining. Et je l'ai beaucoup regretté. Mais Monsieur Stanley Kubrick dont personne n'osait discuter les décisions a dit "Je veux Jean-Louis Trintignant". C'était sa volonté et on n'est propriétaire de personne, donc je me suis incliné.

Mais ce n'est pas frustrant ? Autant pour vous que pour le public d'ailleurs.
Oui mais j'ai un certain sens de la déontologie dans ce métier et je suis très obéissant aux choix du metteur en scène. Il a doublé Shining et personnellement je l'ai trouvé très bien sur Nicholson. Mais il y a eu, paraît-il, plusieurs lettres qui sont arrivées aux sociétés de productions demandant : "Pourquoi n'est-ce pas la voix habituelle ?" En effet, lorsqu'il y a eu Shining, j'avais déjà doublé Nicholson sur une dizaine de films. Et il se trouve que le premier que j'ai fait, a eu un gros succès en France.

Par conséquent, que pensez-vous de cette mode des chanteurs, comiques... qui arrivent dans le monde du doublage ?
Je vais vous dire pourquoi : on est en période de crise et pour faire vendre, les maisons de doublages aiment afficher les noms des vedettes en disant : "on a tel film avec telle vedette". Ils se disent que ça va stimuler les acheteurs. Après, ça ne me dérange pas lorsqu'ils sont bons. Mais quand ce n'est pas le cas, je regrette un peu qu'ils n'aient pas pris de spécialistes du doublage. Mais comme je vous le disais, avant d'être des spécialistes du doublage, il y a surtout de bons comédiens.

Pour terminer, quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant se lancer dans le doublage ?
D'apprendre à jouer la comédie d'abord. Il y a des écoles qui sont très bonnes. On peut évidemment commencer par le doublage mais c'est extrêmement frustrant par rapport au théâtre. Jouer la comédie ça commence sur une scène, avec le contact avec le public et se mesurer à de grands textes. Prenez des cours de théâtre, c'est comme ça que ça marche. Comme le dit l'expression : "C'est mon avis et je le partage" (rire).


     Et pour conclure cet article, un lien vers une compilation des voix de Jean-Pierre Moulin : Compilation Jean-Pierre Moulin.

Voir aussi :
Un portrait, une voix : Emmanuel Curtil
Un portrait, une voix : Bernard Métraux
Un portrait, une voix : Patrick Poivey
Un portrait, une voix : Francis Lax

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vos commentaires apparaîtront après modération.